Ce fut le premier poème que j’appris à l’école. Je l’avais pratiquement oublié lorsque mon fils revint de l’école un jour de ses six ans et me le récita : il l’avait appris à son tour et comme pour la madeleine de Proust tout me revint, la lumière de la classe de mon enfance, le tableau où étaient écrits les mots difficiles : écureuil, lumière, bruyère, l’odeur de renéo sur laquelle l’institutrice imprimait les feuillets, le soleil, à travers la vitre, qui chauffait ma joue gauche…
Je pense que vous connaissez tous, alors dégustez à nouveau. Pour ceux qui ne connaissent pas : à consommer sans modération !
L’ÉCUREUIL ET LA FEUILLE
Un écureuil, sur la bruyère,
Se lave avec de la lumière.
Une feuille morte descend,
Doucement portée par le vent .
Et le vent balance la feuille
Juste au dessus de l’écureuil;
Le vent attend, pour la poser,
Légèrement sur la bruyère,
Que l’écureuil soit remonté
Sur le chêne de la clairière
Où il aime à se balancer
Comme une feuille de lumière.
Maurice Carème
La lanterne magique
Admirez la simplicité du motif réduit à une feuille, un haut, un bas, un écureuil et un basculement, éternel recommencement en quelques mots, quelque chose d’éternel qui chante et illumine. une tellle évidence que l’on s’en souvient 30 ans après, sans effort.
Maurice Carême est un poète qui est beaucoup étudié dans les écoles par cette apparente évidence, mais comme il le disait lui même :
« Je ne crois pas qu’un écrivain puisse écrire pour les enfants. Il n’y a pas deux sortes de poésie, une pour les enfants et une pour les adultes. (…) J’appelle poésie pour les enfants une poésie faite sans aucune concession à leur âge, une poésie écrite sous la dictée de l’inspiration, mais qui, spontanément est coulée dans un style si direct, si frais qu’elle soit accessible aux enfants. Poésie enfantine ? Que l’on ne s’y trompe pas ! Un poème ne vaut que si une grande personne l’admire autant qu’un enfant. Peu importe les raisons qui commandent cette admiration. Les beaux vers sont riches de tant de possibilités. »
Maurice Carême
Les adultes ont tous été des enfants, et gardent dans leurs yeux et au fond de leur coeur quelque part bien caché parfois, n’en doutons pas, la fraîcheur de ces premières impressions.
Et puis en me documentant pour ne pas vous raconter trop de bêtises, je suis tombée sur ce poème, tellement de saison.
LA PEINE
On vendit le chien, et la chaîne,
Et la vache, et le vieux buffet,
Mais on ne vendit pas la peine
Des paysans que l’on chassait.
Elle resta là, accroupie
Au seuil de la maison déserte,
A regarder voler les pies
Au-dessus de l’étable ouverte.
Puis, prenant peu à peu conscience
De sa forme et de son pouvoir,
Elle tira d’un vieux miroir
Qui avait connu leur présence,
Le reflet des meubles anciens,
Et du balancier, et du feu,
Et de la nappe à carreaux bleus
Où riait encore un gros pain.
Et depuis, on la voit parfois,
Quand la lune est dolente et lasse,
Chercher à mettre des embrasses
Aux petits rideaux d’autrefois.
Maurice Carême
Petites légendes
Ceux qui me connaissent comprendront pourquoi ce poème me touche particulièrement.
La bise
» Ce sont des feuilles mortes « ,
Disaient les feuilles mortes
Voyant des papillons
S’envoler d’un buisson.
» Ce sont des papillons « ,
Disaient les papillons
Voyant des feuilles mortes
Errer de porte en porte.
Mais la bise riait
Qui déjà les chassait
Ensemble vers la mer.
Maurice Carême.
Petites légendes
Je me promets, depuis que j’ai rencontré la dernière compagne et la muse de Maurice Carême – une adorable vieille petite dame ridée et toujours aussi amoureuse de son grand homme disparu – d’approfondir l’oeuvre de ce poète. Elle tenait entre ses mains, un à un, les recueils et me les expliquait, en les datant : « celui-ci, disait-elle, c’était pendant sa période dure, dans celui-là, les poèmes sont plus faciles à lire… » À la fin de notre conversation (elle est très loquace), elle m’a désigné un livre : « celui-ci, il l’a écrit pour moi »…La bien-aimée….
Quelle chance d’avoir rencontré un tel témoignage et un tel amour.
Merci pour ce partage avec Maurice Carême. J’aime beaucoup L’écureuil (que je n’ai pas appris plus jeune, ni plus vieille).
J’en vois des vrais au Parc de la Tête d’Or, des écureuils. Ils viennent tout près des promeneurs et réclament de la nourriture !
Maurice Carême est incontournable, en effet, mais je n’ai pas souvenir de cette poésie.
Bises pour ton we
Merci de ton passage. Je me souviens du parc de la tête d’or à l’automne : une féerie !
Coucou 🙂
Après le chat de Soène , trouver un écureuil ici est un petit bonheur 🙂
Bisesssss
Cela va devenir le bestiaire du Jeudi ! Les animaux ont tant de poésie en eux.
« Je ne crois pas qu’un écrivain puisse écrire pour les enfants. Il n’y a pas deux sortes de poésie, une pour les enfants et une pour les adultes. »
je suis loin, très loin, à des années lumières d’être un grain de poussière d’écrivain, mais je suis ravie, extrêmement ravie 😀 de ces deux phrases; j’écris (!) pour mon petit-fils et je vois la même lueur dans ses yeux et dans ceux de mon gentil mari ! Merci Maurice Carême, merci monesille.
[…] d’urgence de Jean Joubert, Soène : Comment appeler son chat ? de T.S. Eliot, Monesille : L’Ecureuil de Maurice Carême, Valentyne : Nous partirons de Nicolas Pavée, Mariejo64 : Sonnet 116 de William Shakespeare, […]
Bonjour
Je n’ai jamais appris ce poème, mais j’en ai appris quelques uns de Maurice Carême…Et ça fait toujours bizarre lorsqu’un de mes anges revient avec une de ses poésies à apprendre…ça ramène loin (ou tôt, je sais pas trop). La beauté n’est pas exclusivement dans la sophistication et ce poète en est la preuve. J’apprécie le symbolisme ou l’esthétisme en poésie autant que la simplicité, parce que la poésie c’est simplement la beauté qui nait de toute chose.
Merci pour ces beaux souvenirs
Merci pour ce beau commentaire, tout en souvenir et lumière.
Un de mes ouistitis doit apprendre LE PRINTEMPS REVIENDRA pendant les vacances d’hiver! Les récitations nous réchaufferont un peu😄
Un plaisir de lire cela au matin.Merci.
[…] Soène : Comment appeler son chat ? de T.S. Eliot. 2 – Monesille : L’Ecureuil de Maurice Carême 3 – Valentyne : Nous partirons de Nicolas Pavée. 4 – Nadael : chanson Ton héritage […]
Je ne sais pourquoi (peut-être est-ce pour sa simplicité qui touche tant les enfants), on considère souvent Maurice Carême comme un poète secondaire. Alors qu’il faut du talent pour ramener ainsi la beauté des choses à une évidence accessible aux enfants comme aux adultes.
Non non je vais sévir ! Déjà tu publies avant et en plus 3 poèmes !!! 😆 Non mais faut choisir Monesille, faut choisir hein !!! J’aime beaucoup Maurice Carême, comme Emile Verhaeren c’est un des premiers appris en récitation au primaire mais je ne me souviens pas de l’Ecureuil (mon fils n’a jamais eu à apprendre de récitations, bouh). J’adore vraiment le second… Autant que le dernier ! 😉