Je fais peu de chronique, j’ai bien tort ! En fait les livres par eux-mêmes me semblent difficile à chroniquer, on aime, on n’aime pas, j’ai peu de choses à en dire. Par contre mettre en rapport deux auteurs sur leur façon de traiter le sujet, voilà qui est plus dans mes cordes. Je commencerai ce mois-ci par deux livres qui parlent de la mère.
« Jeanne » de Jacqueline de Romilly
« Pardon mère » de Jacques Chessex.
Il n’est pas facile d’écrire sur sa mère. Quand elle est vivante on n’est ressent guère le besoin et lorsqu’elle ne l’est plus écrire revient à nous dépouiller d’un souvenir qui n’appartient qu’à nous. Et à ouvrir les mains pour que tous partagent. Mais que partager en fait, si ce n’est des échanges figés par l’écriture. Juste un côté du miroir, rien de l’autre pour nous dire que nous avons tort, si nous avons tort bien sûr ; rien de réel alors que le souvenir le voudrait rester. Très peu d’auteurs arrivent à faire passer cette valeur de l’échange dans leurs mots. Dont deux très différents :
-Jacqueline de Romilly dans « Jeanne », un livre écrit en 1977 un an après la mort de sa mère, mais publié selon sa volonté uniquement après la mort de l’auteur en 2010.
-Jacques Chessex dans « Pardon mère », publié en 2008 aussi après la mort de sa mère.
On connait de Jacqueline de Romilly la vie à succès professionnels, 1ere femme professeur au collège de France, élue à l’académie française, helléniste renommée toute dévouée à sa vie intellectuelle et secondée dans les moindres moments par une mère idéalisée, toujours gaie, dynamique et battante dans des circonstances dramatiques. Une mère totalement en symbiose avec sa fille, la guerre lui ayant enlevé son mari lorsque sa fille avait 16 mois, lui ayant par la force des choses tout sacrifié et lui ayant transmis ce besoin de réussir sauf évidemment sa vie affective. Et bien que Jacqueline de Romilly en retour ait entouré sa mère de tous ses instants et de tous ses moyens, elle dit clairement dans son livre pudique et retenu de n’avoir pas été assez à l’écoute, assez attentive, assez présente.
Dans son récit du parcours de sa mère ressort bien la forte personnalité de l’auteur universitaire, analysant, décortiquant, un côté quasiment scientifique qui laisse transparaître la vision étonnante qu’a une enfant de sa mère et la place qu’elle a tenu dans sa vie. Elle raconte une vie de femme au début du siècle dernier et au fur et à mesure veut nous expliquer et découvre tout ce qu’elle ne sait pas, tout ce que ça mère lui a tu, aussi par pudeur probablement. Toute une époque où une mère a inventé un chemin aisé à suivre pour sa fille.
« A vrai dire ce seuil de l’après-guerre, ce seuil de 1920 me semble avoir ouvert pour tous un monde entièrement nouveau. A partir de 1920, on peut parler de modes passées, de styles périmés, mais on compare des choses comparables. Du chapeau cloche au béret des tuniques vagues aux petits jerseys, ce ne sont jamais que des variations qui périodiquement nous ramènent au point de départ. Mais pour nous rendre les longues jupes et les manches ajustées d’avant 1914, et les grands chapeaux et les dentelles et les pendules et les vases, et les lustres ou les bottines, ou les soupières, les chapeaux melon et les cannes, les lorgnons et les ombrelles, il faudrait un changement de civilisation désormais impensable. Il faudrait des femmes ne travaillant pas, des déplacements rares, du loisir, des classes sociales plus distinctes… En 1920 commence la période aujourd’hui démodée d’un âge cependant moderne. Et c’est pour cela que l’appartement de Jeanne fut le contraire de qu’avait été l’appartement bourgeois de son père… »
Jacques Chessex est lui un auteur plus littéraire et plus charnel. Lauréat du prix Goncourt pour son livre l’Ogre, il annonce clairement la couleur : « Pardon Mère ». Il se décrit comme le mauvais fils, le rebelle, l’ingrat, le méchant. Orphelin de père lui aussi, mais dans des circonstances différentes : son père s’est suicidé, Il nie il se débat. Il annonce d’emblée : « Je n’ai jamais désiré le sexe de ma mère ». Mais nous dit quelques pages plus loin : « car dans ma plus longue mémoire vrai réservoir du passé à retrouver, c’est toujours toi que je rencontrais, mère, je le sais clairement aujourd’hui, dans les bras, dans les corps, dans les soupirs des almées ». Son livre n’est pas un récit. Il parle de lui, de ce qu’il ressent, sa profonde culpabilité de n’avoir pas été là au bon moment, de n’avoir pas changé son comportement envers elle. Rebelle, il ne veut pas céder à la tentation de l’amour de sa mère, trop entier, il ne pourrait plus s’en défaire. Amour trop ! Trop fort, trop dominant, trop dévorant. Un livre à fleur de sentiments.
-« Mère affaiblie, âgée, au corps rapetissé, amaigri aux yeux qui perdent la vue. Et l’émotion si vulnérable, aucun moyen de résister, dans l’instant à des airs, des pans entiers de sa vie qu’ils rapportent mélancoliquement, tout ce non-dit de la musique, de jamais explicite, de suggéré nerveusement, de cordes qui se mettent à tremble, de défenses qui sautent, de secrets, de regrets qui remontent à la surface et font le bruit du désastre là om l’on attendait le répit. Oui, de désastre, comme une misérable défaite du cœur, de la mémoire, de la volonté. Et terriblement saisie par les sons qui auraient du la combler ; et de force plongée, ma mère alors dans un accès d’intense tristesse qui me laissait désarmé, sans moyen de l’aider, sans recours aucun contre une si obscure e t évidente hantise. Donc à la fin de sa vie, ma mère redoutait la musique et la refusait.. . »
Deux livres qui pourraient être des livres de deuil et qui n’en sont pas par la vibration aimante qui résonne tout au long de leurs phrases. Car l’amour ne finit pas avec la mort.
Deux livres aussi qui justifient peut-être la phrase de Balzac :
« La mère qui laisse voir toute sa tendresse à ses enfants crée en eux l’ingratitude. L’ingratitude vient peut–être de l’impossibilité où l’on est de s’acquitter. »
Thème et confrontation intéressantes.
Mais je ne suis pas d’accord avec Balzac dont, il est vrai, la mère n’était pas aimante.
Je préfère Victor Hugo : » L’amour d’une mère, amour que nul n’oublie…; chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier « .
C’est une rubrique qui m’intéresse! Oui, vaste sujet, la mère…Ma mère n’a jamais montré une grande tendresse pour ses enfants, et aujourd’hui mes sentiments envers elle sont confus, culpabilité, ingratitude, regrets…Comment continuer à aimer une personne de 98 ans qui est devenue aigrie, commandante et …chiante. Mais bon, je ne vais pas écrire un livre…
Difficile de répondre à chaud. Mais le grand âge a ses défauts. Plus tard reviennent les souvenirs plus tendres, et puis le détachement. Et ce genre de sentiments qui nous amènent à nous trouver beaucoup de qualités 😀 Bises
Un joli sujet, souvent abordé en littérature. Je ne connaissais pas ces 2 auteurs, il faut dire que les titres datent un peu. Si tu as envie de lire encore sur ce sujet et si tu ne connais pas Albert Cohen, il y a Le livre de ma mère…attention au choc de lecture…ou pas !
Pour la date des livres, je ne suis pas fan des sorties du jour qui rabâchent souvent des choses qui ont été déjà et souvent bien mieux écrites précédemment. (même si je me fais régulièrement appâter par des posts sur les blogs :d) Par contre je lis pas mal de classiques. J’ai lu le livre de ma mère de Cohen, je n’en garde pas un souvenir impérissable.
Bises
Tu parles très bien de ces livres qui semblent porter une grande force!
J’aime bien la dernière citation et l’analyse qui est faite de l’ingratitude. Je m’en souviendrai😉
Bises
Bises Emilie, les mères sont un vaste sujet, je me demande ce qu’on dirait (dira ?) à nos sujets ?? 🙂