L’agenda ironique de mai, prenant la place logiquement de celui d’avril qui ne s’est pas découvert d’un fil, nous invite à attendre les ponts; bon j’ai plus l’habitude d’attendre les trains, mais on va faire c’qu’on pont, euh, c’qu’on peut !
Il faut que je vous raconte quelque chose.
Je viens d’un petit pays dans les montagnes du temps où il n’existait pas encore de frontière bien précises. Juste des montagnes blanches, très hautes qui paraissaient infranchissables et des vallées creuses, très creuses, où glissait une eau glacée et sombre.
Je ne vous dirai pas le nom du village, qui ne vous évoquerait rien, mais je peux vous dire que les premières gens qui avaient décidé de s’installer ici avaient vraiment du cœur au ventre, où alors étaient tellement poussés par le désespoir qu’ayant trouvé ce petit morceau de rocher du bon côté de la montagne, ils s’y étaient cramponnés comme des moules et ne l’avaient plus quitté.
Ils avaient gratté un peu de terre à gauche, un peu de terre à droite, avaient taillé la pierre de leur massettes et un semblant de village était né, isolé du monde les trois quarts de l’année, le reste du temps les garçons en manque de connaissances et rendus fous par les étés, escaladaient ravins et ravines et bravaient tous les dangers pour aller chercher ailleurs des jeunesses avec de profondes fossettes et des yeux brûlant à faire fondre le cœur des familles au milieu desquelles elles allaient s’implanter. Au cours de leur quête certains chutaient dans les torrents grossis des fontes d’été, mais la plupart revenaient bien décidés à ne jamais repartir. Bref, le village prospéra et les gens y vivaient heureux. Mais les bambins qui naissaient de ce bonheur avaient bien peu d’espace pour exercer leurs jeunes forces malhabiles.
Les jeunes gens ramenaient aussi des idées nouvelles et un certain hardi, soutint un jour l’idée que l’on pouvait jeter un pont par-dessus les eaux rugissantes et que l’espace gagné de l’autre côté du gouffre serait autant de bonne terre où le village pourrait s’étendre. Une seule arche suffirait tant le canyon était étroit. Chacun prêta son concours au projet, et mis bout à bout, courage, solidarité et endurance vinrent à établir un pont et en effet les gamins purent gambader à leur aise de part et d’autre en entendant sous leurs pieds les eaux grondantes de fureur d’être ainsi dominées.
Les terres de l’autre côté étaient fertiles et bientôt les souvenirs des temps difficiles où les anciens étaient venus s’installer sur des terres déshéritées ne survécurent que dans les récits des quelques grand-mères édentées mais comme chacun sait, les vieilles femmes inventent souvent des histoires pour meubler les longues soirées…
Alors l’oubli vint peu à peu. Les habitations coquettes attiraient souvent de pauvres hères pensant trouver là de quoi gagner le pain de quelques jours. Et il faut bien dire que au début personne ne le leur refusait. Mais petit à petit chacun ferma sa porte plus précautionneusement, et l’on attacha les chiens devant les granges pleines de bon foin où il aurait été vite fait de mettre le feu en allumant une cigarette.
Jusqu’au jour où grelottant sans un abri pour passer la nuit, une nuit de bise sous les étoiles glacées, un traîne-savate arracha une latte du pont pour se faire un feu auprès duquel se réchauffer un peu.
Certains accusèrent le mauvais sort, d’autres l’avarice, certains se turent de peur de dire des bêtises, mais le lendemain était justement le jour du mariage du fils du hardi qui le premier avait réussi à franchir le précipice pour établir la base du pont. Et lorsque les gens passèrent en foule et dansant sur les planches, celui-ci s’écroula entraînant dans l’épouvante la moitié du village, laissant les autres de part et d’autre de l’abîme se tendre des bras désespérés.
Surprise à la fin alors, à suite, oui bien sûr
C’est beau mais triste … Il ne passait pas dans le coin Superman ?
Bisesss Monesille 🙂
super briconaute !-)
Belle légende.
Oui, la suite…
La pauvre Adèle (ou Hélène selon les versions) n’a pu leur dire qu’il était dangereux de danser sur les ponts…(de Nantes)
C’est la fable d’une civilisation entière que tu nous contes là!
Quelle chute ! Bravo ! Je ne l’avais pas vue venir…
Vertigineuse ! Merci 🙂
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Les gens punis de leur avarice?
Si tu le penses ainsi 🙂
Ho ça te va aussi très bien « conteuse », tu nous tiens en haleine et cette histoire n’est pas une histoire de « pauvres », qu’est-ce qu’il raconte le Dodo, il devait pont-ifier ! Il n’y a qu’un pas jusqu’au pont-i-ficat, méfions-nous, un pape dans l’agenda, arf ! 😆 moi je la trouve très bien comme ça, tu peux faire une suite mais ce n’est pas obligé, on devine bien qu’ils vont reconstruire le pont…en pierres cette fois ! 😀 Mais s’il y en a une ce sera avec joie que je la lirais !!! Bises ma Camomille qui raconte sans se la raconter ! 😀
Bises défenderesse de la conteuse !
J’aime ! Je ne m’attendais pas à cette fin, cela va sans dire que j’attends la suite !!!
hi, je fais le pont !-) j’écrirai peut-être une suite pour le 14 juillet !
[…] Monesille la conteuse arrive alors : un village et ses habitants, un pont pour lier des rives opposées… L’histoire démarre, prometteuse, Monesille s’y connaît ! […]
ho, belle histoire, riche en métaphore et en réflexions…
Le pont t’a inspiré…mais c’est normal, tu es fonctionnaire me semblet-il !
😀 😀
Bisous !
Oui mais pas au ponts et chaussée !
L’histoire laisse rêveur. Elle laisse entrevoir tant de pistes évocatrices, le pont rompu ne rompt pas pour autant la réflexion encourue.
C’est pas l’tout, là ! Mais va falloir reconstruire tout ça ! Une suite est-elle en construction ?
Comme quoi, si tu construis un pont, pense à placer un tas de bois juste à côté, pour éviter qu’un pauvre sans abri gelé ne prenne les planches du pont pour des bûches.
Joliment bien trouvée, cette histoire de pont.
Laisser sa porte ouverte aussi c’est pas mal 🙂 Ou alors tout ce qu’on avait construit fini par ne plus servir qu’à la déco.
Bisous chère impermanente.
Wouah, wonderful story ! Et le Dodo a raison, encore et toujours, c’est fatigant d’avoir toujours raison. Mais n’empêche… l’auteure, elle, est riche de son imagination et nous a fait passer un bon moment avec ses pauvres malheureux. Heureusement, moi, j’habite dans la vallée : je ne suis pas concernée.
Bref le pont te passe par-dessus la tête !
Un début prometteur ! Il n’y a rien à changer, juste la suite à écrire, et rapidos, je te prie, j’ai hâte ! 😉
PS : Je te signale juste une erreur de frappe : il aurait été vite de faire de mettre le feu en allumant une cigarette.
Oui, tu as raison pour la faute, j’ai corrigé, merci ; quant à la fin et bien, je crois qu’ils attendent un autre pont 😉
Bises
la chute (!) de ce conte confirme ce que je pensais : c’est toujours la faute des pauvres :))
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans mon pont si c’est ce qui se dégage de ce conte !! mais je subodore que tu plaisantes :))
C’est que devant un conte si riche et bien mené, je n’ai trouvé qu’une pirouette pour passer le pont (et laisser un commentaire)
J’ai réfléchi à une suite, plusieurs sont possible, je vais peut-être mettre aux voix 🙂
Une espèce de feuilleton où les lecteurs choisissent la suite ? ça ne marchera jamais :))
bon, je blague ; je vote pour la suite, la suite !!