Le Salon Poésie de Dame Asphodèle

Oh, la la de oh la la, j’ai failli oublier ! Heureusement que j’ai voulu aller faire un puzzle chez Martine Turbulente, qui m’a fait souvenir ! Que faire, quel choix dans l’urgence ? Rimbaud tombe vite sous le sens surtout que l’une d’entre vous m’a fait penser à lui dans ses mots. J’espère que Madame Asphodèle ne m’en voudra pas de cette apparition tardive et débraillée dans son salon !

Mais Rimbaud, quoi, c’est connu, le dormeur du val, le bateau ivre, et j’irai sous la lune et serai ton féal, non il  m’en fallait un moins connu, plus incisif, et j’en pensé aux enfants, à ces petits enfants que l’on sait si doués et si fragiles et dont on confie totalement la nourriture intellectuelle au hasard de maîtresses parfois bienveillantes, parfois j’ai dit. Le reste du temps, ils font ce qu’ils peuvent…Au prix de quelles souffrances intimes et de quels renoncements ?




Les poètes de sept ans

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S’en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences,
L’âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d’obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies.
Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s’illunait,
Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s’effrayait ; les tendresses, profondes,
De l’enfant se jetaient sur cet étonnement.
C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment !

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! – Il s’aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l’oeil brun, folle, en robes d’indiennes,
– Huit ans – la fille des ouvriers d’à côté,
La petite brutale, et qu’elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
– Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve.
Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
– Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d’humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
– Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, – seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !



Les explications de ce poème vous les trouverez sur le site très bien fait de Rimbaud expliqué

6 réflexions sur “Le Salon Poésie de Dame Asphodèle

  1. sous les galets dit :

    Je ne connaissais pas ce poème, qu’est ce qu’il est dense et sombre, je m’en vais le relire pour mieux le saisir, merci de ce beau partage.

  2. J’aime particulièrement ce poème de Rimbaud, de sa première période, encore plein de fraîcheur malgré la rage sombre qui s’insinue déjà.

  3. Asphodèle dit :

    A 17 ans il avait tout dit ! On sent dans ce poème toute la « haine » que sa mère lui inspirait même s’il était content de l’avoir quand il était au fond du trou… Mais quel talent ! Merci , toi aussi tu t’y mets pour le Salon, hi hi ! 😆 Bises rimbaldiennes saupoudrées d’herbe verte…et or (of course !^^) !

  4. […] – Monesille (ce matin itou) rimbaldise avec « Les poètes de sept ans » d’Arthur […]

  5. Célestine dit :

    Où l’on voit que Rimbaud était un surdoué…
    Les partisans de la réincarnation diraient qu’il avit dû vivre déjà un grand nombre de vies, pour avoir cette précocité-là.
    C’est magnifique.
    Pour les maîtresses bienveillantes, oui, ça existe, j’en ai rencontré… 😉
    ¸¸.•*¨*• ☆

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